Sur
le Droit de propriété et le Droit au logement
En marge du procès contre
« le Village », point de vue...
Au cours de ce procès certaines questions ont été
abordées non pas dans le cadre d'un débat de fond mais, une fois
de plus, dans l'urgence, une urgence bien réelle du côté des
habitants-occupants du Village et une prétendue urgence du côté de
la mairie-propriétaire.
Le propos n'est pas de refaire le procès. D'ailleurs,
celui-ci, une fois de plus, met en avant l'antagonisme entre le
droit de propriété et le droit à un logement décent (cf.
compte rendu de l'audience du 18 décembre). On peut en effet
regretter qu'entre les balbutiements de l'avocat de la Mairie (plutôt
mal à l'aise) et le plaidoyer de l'avocat des habitants qui
réclamait un vrai débat de fond, on ne soit pas parvenu à
approfondir les liens étroits entre ces deux droits et ainsi ouvrir
des voies satisfaisantes pour les deux parties.
Sur
la question de l'urgence
Alors que beaucoup de monde s'accorde à dire que
l'urgence du moment est la crise du logement, la Mairie, d'accord en
cela avec la Préfecture, juge que l'urgence est l'expulsion.
Position plutôt contradictoire avec les prétentions sociales
affichées, par ailleurs, par l'équipe municipale.
Au-delà de l'ironie du propos - comment soutenir
cette soi-disant urgence quand la propriété des lieux n'est même
pas acquise au bailleur social devant construire quatre vingts
logements ? - en admettant que ce projet prenne corps, entre
la réalisation de l'achat, la conception et la mise en chantier, il
risque de s'écouler un certain nombre de mois qui jette une lumière
crue sur le mal-fondé de cette urgence à expulser. Autant de temps
qui pourrait permettre aux actuels habitants de se mettre à l'abri
et ainsi pouvoir mener une vie plus décente.
Cette affirmation n'est pas gratuite mais repose sur une
expérience réelle de douze réquisitions dont dix impliquaient,
directement ou indirectement, les pouvoirs publics. La première
réquisition (à l'ancienne Gendarmerie des Ponts-de-cé) se clôtura
par une expulsion le 12 novembre 2008. Depuis, cinq ans se sont
écoulés. Cinq années durant lesquelles des personnes d'horizons
divers sont contraintes de réquisitionner des bâtiments vides,
laissés à l'abandon par leurs propriétaires respectifs. Cinq
années qui auraient permis de préparer nombre de demandeurs d'asile
ou de SDF à une nouvelle vie, d'envisager des solutions à
l'intégration socio-économique des Rroms attachés à Angers.
En effet, la véritable question en l'occurrence serait
plutôt les rapports des politiques, territoriaux et nationaux à
l'exercice du pouvoir et leur approche de la question juridique. Pour
légitimer la demande d'expulsion, les décideurs politiques se
fondent sur un principe inscrit dans la Constitution en posant le
droit de propriété comme intangible et absolu mais surtout comme
intemporel. Cette façon d'appréhender le problème corrompt toute
tentative de solution réaliste satisfaisant les parties et ne peut
que renforcer les antagonismes.
Cette posture idéologique les entraîne à l'opposer à
un autre droit qu'ils défendaient en d'autres temps et d'autres
lieux : le droit au logement. D'où le malaise de leur
avocat pour affirmer la primauté du premier sur le second !
Difficile, en effet, de justifier l'expulsion d'une cinquantaine de
personnes dans le présent par la création de quatre vingts
logements dans le futur.
L'urgence invoquée est surtout prétexte à esquiver
le véritable débat de fond sur les rapports de propriété et de
leur articulation avec le besoin de logement dans le droit français.
Sur
le droit de propriété
Le droit français donnerait-il raison à la Mairie ?
On peut en douter.
- Les expropriations d'utilité publique mises en œuvre par les administrations l'égratigne quelque peu; et, dans le cas d'espèce, la mise à l'abri d'une cinquantaine de personnes n'est elle pas une action immédiate d'utilité publique ?
- Le droit de passage est une servitude qui limite ce droit et il est spécifié comme tel dans les actes notariés.
- Un occupant sans droit ni titre peut prétendre au bout de vingt ans à la propriété du lieu dont il a la jouissance.
- Les ordonnances de 48, permettant à l'État de réquisitionner les maisons et immeubles vides limitent également ce droit... quand il est inutilisé.
Ce droit n'est donc pas si intangible et une notion
antérieure au Code civil, liée à la définition même de la
propriété peut le tempérer : le droit d'usage.
Pour mieux cerner le problème, il convient de poser
clairement la définition de la propriété dans le droit français.
Dans le système économique actuel, la propriété présente deux
aspects dont les caractéristiques se sont accentuées et séparées
pour devenir pratiquement indépendantes l'une de l'autre et même
antagoniques au fur et à mesure du développement de la
marchandisation de la société :
- La propriété comme moyen de mise à l'abri et lieu de vie pour soi et sa famille ; dans ce sens, le droit de propriété devient une mise en œuvre particulière du droit au logement.
- La propriété comme capital ; la propriété n'est plus qu'une marchandise considérée comme investissement productif. Cela est si vrai que des personnes morales peuvent acquérir des propriétés à des fins locatives ou autres selon leur stratégie commerciale ou leurs finalités juridiques; la loi Cellier a d'ailleurs consacré cette séparation des deux notions dans les textes pour, il est vrai, relancer la construction de logements.
Sur
le droit au logement
Ce droit est lié aux besoins fondamentaux de l'être
humain et répond au principe de nécessité quand il est pratiqué
en marge de la loi, sans droit ni titre selon la formule. Il a connu
quelques avancées ces dernières années, notamment la Loi DALO sur
le droit au logement opposable ou encore la reconnaissance par le
Conseil d'état de l'hébergement d'urgence comme vingt-deuxième
liberté fondamentale. Comme nous l'avons constaté précédemment,
l'accès à la propriété peut être un moyen de le satisfaire ;
c'est d'ailleurs dans ce sens que la sagesse populaire comprend la
notion de propriété ; il en paraît d'autant plus aberrant
d'opposer les deux droits comme des ennemis héréditaires.
Propositions
Une solution de bon sens peut et doit se dégager de ce
qui précède. Si l'on accepte la définition donnée au terme de
propriété, la Mairie n'est pas lésée de ce droit par les
habitants du Village.
En effet :
- La mairie étant une personne morale ne peut se prévaloir de l'atteinte à la jouissance de ce droit comme liberté individuelle.
- Elle ne peut non plus se prévaloir dans l'immédiat d'atteinte à la libre disposition du capital que constitue « le Village » tant que l'investissement supposé n'a pas connu un semblant de début d'exécution. La SEM en charge du projet n'a pas encore acquis le bien et ne peut donc se prévaloir d'une quelconque gêne. Les maisons du « Village » apparaissent ainsi comme du capital temporairement inutile n'ayant valeur ni d'usage, ni de marchandise ; un investissement différé en quelque sorte.
A contrario, les populations concernées ont des droits
dont certains relèvent d'obligations de l'État
ou de la Mairie ; obligations de moyens et/ou de résultats,
selon les cas.
La loi BOUTIN en instaurant les baux précaires a ouvert
des perspectives pour sortir de la contradiction apparente introduite
entre ces deux droits. Elle permet d'envisager un accord tacite ou
formel entre les parties pour que les habitants puissent utiliser les
maisons jusqu'à ce que le projet initialement prévu se concrétise
par sa mise en œuvre.
Les dépenses et
éventuels débours liés au fonctionnement du lieu - accès aux
fluides, accompagnement social... - étant à négocier entre les
pouvoirs constitués – État, Mairie, Conseil Général - en charge
des populations concernées. Un tel accord, faut-il le rappeler,
existe déjà à Angers, concrétisé par la Convention passée avec
« l'Espace accueil ».
Cette proposition avait
déjà été faite à la Préfecture, à la Mairie et au Conseil
Général et se trouve actualisée à chaque occupation d'immeubles.
La Préfecture ne pourrait plus se réfugier derrière le gaspillage
des nuitées en chambres d'hôtel financées par l'argent public. La
Mairie nous avance que la réquisition ne peut qu'être précaire.
Pourtant aussi provisoire que soit la réquisition, elle pourrait
permettre quelques mois de stabilité pour des populations qui vivent
la misère au quotidien et subissent en permanence l'angoisse de
l'avenir. Leurs droits fondamentaux sont tout simplement déniés par
les pouvoirs publics.
Cette solution n'est pas
une promesse d'avenir mais pourrait permettre, au moins, à ces
populations d'envisager un avenir...
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