vendredi 11 avril 2014

La Casa : une audience, enfin !


Nos ami-e-s roumain-e-s de "la Casa" passeront au TI de Coubertin et non au TGI place Leclerc. Ainsi en a décidé la commission de recours des litiges en compétences; l'audience aura donc lieu le lundi 14 avril à 14 heures au 39, Bd de Coubertin

Faites circuler..

Témoignage sur les algécos de Rouchy

Depuis longtemps, les membres du CSSP49 dénonce l'inertie des pouvoirs publics locaux à propos de l'hébergement d'urgence. Celui concerne à la fois des demandeurs d'asile, des migrants mais aussi des rroms, des jeunes en errance...

L'année dernière, un solution avait semble-t-il été trouvée avec la mise en place des hébergements à Rouchy.

Ci-dessous, un témoignage sur la vie quotidienne au sein de la Halte de Nuit de Rouchy.
Consternant !
 
Lettre de justification de fin de travail 
en tant que travailleur social sur la Halte de Nuit « Rouchy »

Par la présente je souhaite expliquer les raisons qui m’amènent à prendre la décision de ne plus vouloir intervenir sur cette halte de nuit. Il me faut préciser qu’il ne s’agit en aucun cas d’une contestation des décisions et orientations qui sont prises quant au fonctionnement de Rouchy mais plutôt d’un désaccord personnel et éthique. En effet, loin de m’engager sur le terrain politique de l’intérêt ou non d’un tel site, je souhaite simplement expliquer mon choix et mettre en avant les modalités d’accueil réservées aux usagers hébergés à Rouchy et avec lesquels je suis en désaccord. Il me semble de plus nécessaire également de bien préciser que ce ne sont pas non plus les contraintes horaires liées à ce poste qui me poussent à arrêter mes interventions. Il me faut alors aborder les principaux points avec lesquels je suis en désaccord et cela en plusieurs points.
Sur les modalités d’accueil :

Les personnes accueillies à Rouchy ont des profils très variés. Elles sont cependant comme point commun de ne pas avoir de solution d’hébergement pour la nuit à venir. Ces personnes doivent donc appeler le service du 115 pour demander au quotidien une place pour une nuit d’hébergement. Ce dernier, selon quelques critères qui lui sont dictés, attribue alors 61 places chaque jour à partir de 8h30. Nous accueillons alors ces 61 personnes orientées chaque soir à partir de 21h00 :

  • Sur un premier site, 40 personnes sont des familles aux compositions variées -couple+ enfant(s), femme + enfant(s), homme + enfant(s),…- les amplitudes d’âge s’étendent alors de quelques jours à plus de 60 ans. Ces personnes sont réparties sur deux algécos (sortes de préfabriqués sommaires) composés de 4 chambres chacun.

  • Sur un second site séparé du premier par un grillage, 15 places sont réservées aux hommes isolés au sein d’un algéco. Cet espace permet un accueil de chiens qui peuvent être mis en cage pendant la nuit. 6 Mineurs Isolés Etrangers, prennent place également au sein d’un second algéco. Aucune place femme n’y est prévue.
Avec cette hétérogénéité de publics, un accueil adapté et individualisé semble, si ce n’est impossible, à tout le moins complexe. L’essentiel y est cependant assuré par la mise à l’abri des personnes. Cependant au-delà cette mise à l’abri, les conditions d’accueil matérielles sont à mon sens d’une indigence inappropriée. Dans les algécos, ne sont présents que des lits de camp picots. Ces espaces pour le sommeil jouxtent deux petits blocs sanitaires répartis de part et d’autre du grillage. Ainsi nous retrouvons sur le site un total de 3 douches (dont une inaccessible), de 4 toilettes à « la turque » et d’un W-C classique (également inaccessible aux usagers), de 4 urinoirs, de 2 lavabos et de 2 chauffe-eau de 150/200 litres.


Sur les conditions d’hygiène

Il est à noter que ces ballons d’eau chaude ne fonctionnent pas depuis mon arrivée sur le site en novembre 2013, et que la remise en fonctionnement de ces-dits ballons ne se fera, selon les propos officiels, pas « immédiatement ». Sur ce point, il m’est difficilement acceptable de cautionner un accueil si peu qualitatif et qui n’engendrerait pourtant, à mon sens, que peu de frais pour des effets non anodins. Se pose également à travers ce manque, la question de l’hygiène des nourrissons et jeunes enfants mais également de toutes personne présente sur le site et notamment les exclus sans-abri qui posent parfois quelques désagrément dans l’espace collectif. Je m’interroge également sur les situations récurrentes des personnes que nous sommes dans l’obligation d’orienter vers le CHU étant donné leur état de santé. Celui-ci n’est-il pas lié à minima, aux conditions de manque d’hygiène vécues sur le site.

Dans le même sens de prévention à la santé, l’accueil de personnes ayant fait l’expérience de la rue(migrants ou non) justifierait le nettoyage régulier des lits « picots », ce que je n’ai jusqu’à présent pas eu l’occasion de constater en 4 mois. La question du confort n’est pas soulevée ici, mais celle de l’hygiène me parait cependant primordiale mais semble être mise de côté pour de publics en proie à diverses contagions.

Je n’évoque pas des questions qui resteront probablement sans réponses comme le manque d’abri, l’absence de la moindre installation au profit des bébés… En abordant quelques questions physiques et matérielles d’un tel site et sans soulever la moindre notion de confort, simplement d’hygiène, il m’apparait –une nouvelle fois personnellement-inacceptable d’accueillir des usagers déjà en souffrance dans ces conditions. L’accueil du public, des plus jeunes aux plus démunis, ne se fait alors, à mon sens, pas de façon digne et respectueuse.

Au-delà de ces modalités physiques et matérielles d’accueil, il m’est nécessaire d’aborder les principes d’attribution des places et le fonctionnement en vigueur à Rouchy. 

Sur le fonctionnement à Rouchy :

N’ayant que peu en tête les origines et les enjeux d’un tel projet de halte de nuit, je pense pouvoir intégrer certaines volontés de quantifier voire de « quota-ifier »les attributions des places par le 115. Je suis cependant perplexe quant à certaines positions et décisions sur ces attributions et ceci principalement sur la question de l’accès des femmes à Rouchy. Celui-ci ne peut se faire qu’à partir de 22h00. A l’approche d’élections défendant des principes de parité, qu’en est-il de celle de l’accès au site pour une femme isolée (française ou Demandeuse d’Asile). N’ayant pas de place attribuable et prévue pour les femmes dès le matin, ces dernières doivent attendre d’éventuels désistements à 22h. Une réflexion me semble nécessaire et des solutions seraient à mon sens envisageables avec un minimum de bon sens et de concertation pour résoudre ce problème.

Je comprends également le positionnement de faire de cette halte de nuit un lieu qui se veut temporaire qui ne doit pas être perçu comme un logement , cependant je m’interroge sur la légalité d’interdire de s’alimenter sur un lieu abritant des personnes en souffrance sur une amplitude pouvant aller jusqu’à plus de 10h. Ces quelques points sur les conditions d’accueil et sur le fonctionnement sont autant d’arguments qui m’amènent à réfléchir et à me positionner personnellement à l’encontre d’un tel travail.

Sur les conditions d’intervention :

Au-delà de l’isolement géographique du site, il est à mon sens d’autres isolements non moins négligeable perceptibles dans le travail du quotidien effectué à Rouchy. Je ne souhaite pas m’aventurer à interroger la terminologie des termes employés pour définir le public accueilli : familles, hommes, femmes, mineurs… isolés sur un site qui l’est tout autant. Au-delà de révéler ce que peuvent vivre les personnes accueillies, il me semblerait plus approprié dans un tel contexte de parler d’éclatement. Cet éclatement des personnes accompagnées dans leur parcours par divers services est, en revanche, intimement lié, à ma lecture, à un autre isolement tout aussi problématique ; celui du travail d’accompagnement effectué à Rouchy.

S’agissant d’une halte de nuit, ce service n’est pas perçu comme une structure à proprement parlé dans la mesure où l’accueil n’y est que d’urgence et se veut temporaire. Ainsi, aucun travail sur la question de projet individualisé ne peut et ne doit y être fait, ce qui est presque recevable. En revanche, il est regrettable qu’aucun travail n’ait été effectué quant à l’affichage ou à la distribution systématique d’un règlement de fonctionnement intérieur à chaque nouvelle arrivée, comme cela peut se faire dans nombre d’autres établissements hébergeant du public. Dans un tel contexte et avec la variété de langues parlées sur le site, l’explication du fonctionnement y est parfois assez restreinte et compliquée. Ce manque peut parfois susciter des interprétations et crées des tensions (notamment entre usagers et agents de sécurité) entre lesquelles l’isolement du travailleur social s’amplifie. J’y reviendrais ultérieurement à travers un exemple concret.

Cet isolement resterait presqu’insignifiant si le travail de transmission effectué deux fois par jours était réellement relayé et qu’il puisse y avoir de réels échanges directs entre les différents intervenants du site Rouchy. Ainsi, il m’est regrettable de n’avoir eu aucun temps d’échange constructifs (en réunion par exemple) avec les responsables qu’ils soient de la DDCS ou de la société APS. Ces temps auraient éventuellement permis de réajuster certaines pratiques et de pouvoir échanger de problématiques à tout le moins matérielles et logistiques à partir d’observations concrètes du terrain. Il n’en a rien été durant ces 4 mois ce qui conforte cette idée d’isolement. Ce sentiment d’isolement, est à mon sens, révélateur du souhait de ne pas chercher à s’adapter aux observations du quotidien mais bien de rester dans un fonctionnement rigide et mal adapté qu’il serait pourtant nécessaire de faire évoluer aux réalités du terrain et au profit d’un minimum d’humanisation de l’accueil.

Gérante et garante de l’organisation de Rouchy, il m’est difficilement compréhensible que la DDCS ait une attitude distante d’avec les professionnels du terrain et qu’elle ne cherche pas à s’inspirer des remontées qui pourraient être faites. Il n’en demeure pas moins que ce site isolé semble être volontairement tenu à distance de quelque regard extérieur que ce soit, voire même d’être un tabou à ne pas aborder… je n’aborde pas là certains propos entendus comparant l’isolement et la méconnaissance publique de ce site à d’autres lieux historiques tristement célèbres. Le silence et l’isolement qui y règnent seraient-ils volontairement entretenus ? Pour en avoir échanger de façon informelle sur des temps de travail avec d’autres professionnels du secteur, il est une nouvelle fois condamnable qu’un travail de réseau soit impossible par les professionnels de Rouchy. Cette impossibilité serait principalement due aux horaires de travail.

La méconnaissance des conditions d’hébergement de Rouchy, qui suscite pourtant l’intérêt de nombre de professionnels, est semble-t-il, entretenue par l’interdiction de pouvoir s’en faire une opinion en s’y rendant physiquement. Qu’en est-il du travail des médias et journalistes pour qui il serait probablement porteur d’en faire une succincte présentation ?... la transparence n’est semble-t-il pas le maître mot au sujet de ce site. Faut-il y voir une gêne ou la présence d’un problème éthique ? Humain ? Juridique ? Je ne l’espère pas.

Le travail de réseau rendu impossible par les horaires d’intervention évoqué plus haut me questionne également. Accueillant des personnes accompagnées ou rencontrées par le SAAS, Espace Accueil, le PASS, Aide Accueil, le Samu Social,… il est dommageable de n’avoir aucun temps d’échange formalisé permettant de croiser les regards des professionnels. J’ai ainsi eu l’occasion de faire l’expérience de l’intérêt de tels échanges. Ayant travaillé sur un poste accompagnant les mêmes publics mais sur des missions différentes, j’ai eu l’occasion de faire des ponts dans les situations que je pouvais rencontrer à Rouchy. Rompant ainsi l’isolement du travail effectué sur la halte de nuit grâce à une autres expérience professionnelle , il me semble important d’illustrer ce propos par un exemple précis pour bien affirmer la nécessité de pouvoir échanger avec d’autres acteurs concernés pour un accompagnement un minimum qualitatif.

Quelques exemples révélateurs

Ainsi donc pour illustrer mes différents propos il me faut présentés des exemples précis mais anonymés volontairement. 

Sur le travail isolé :

Concernant le sentiment d’isolement mais surtout pour défendre l’intérêt d’activer et de rencontrer les acteurs du réseau, je prends l’exemple d’une famille kosovarde. N’ayant pas de réelle connaissances des situations que nous rencontrons à Rouchy, notre lecture et appréciation de ces situations est, comme tout travail social, forcément partiel. Cette famille kosovarde, au passé qui m’était inconnu, fait l’objet d’un échange entre un professionnel de l’Espace Accueil et moi-même. Ces échanges abordent brièvement le parcours de cette famille et des violences vécues. La question de la santé mentale de Mme m’interroge et au terme de cet échange, il m’est évident que l’hébergement proposé à cette famille pose un gros souci à Mme dans la mesure où elle dort dans le même espace qu’une famille albanaise. Mme exprime se sentir menacée et ne pas dormir chaque nuit. Je décide alors de changer la famille de dortoir et fais remonter l’information de la santé de Mme lors de mon compte rendu du soir… il s’avèrera que le lendemain, Mme sera hospitalisée. Je me pose la question de savoir si l’échange que j’ai pu avoir avec ce professionnel d’Espace Accueil n’avait pas eu lieu, que serait devenu cette situation ? Cet exemple (permis par une autre expérience professionnelle que Rouchy) me semble parlant quant à l’intérêt de ne pas travailler en vase clos. 

J’abordais précédemment la notion d’interprétation du règlement, je n’énumèrerai pas exhaustivement les problèmes vécus pendant l’accueil des personnes à Rouchy, mais il me faut malgré tout présenter un exemple parmi d’autres qui me questionne. Je souhaite ici faire allusion à un point abordé précédemment traitant de l’interprétation du fonctionnement et des conséquences néfastes qui s’y rattachent.

Sur la gestion du fonctionnement

Il s’agit d’une situation intervenant en matinée et qui aboutira à ce qui ressemble à mon sens à un abus de d’autorité et un manque de respect envers le public accueilli. Ainsi un père de famille russophone et ne comprenant pas le français vient chercher 4 café et chocolat une matinée de pluie. Il sait qu’il ne peut les consommer à l’intérieur mais les amène au seuil de la porte de son dortoir et reste ainsi à l’extérieur du bâtiment. Le vigile dit qu’il agit ainsi depuis trop longtemps et va régler cette affaire à sa façon. Il se dirige donc audit dortoir et essaie de lui rappeler les règles. Servant les cafés j’observe la scène à distance, et me rend compte que l’agent de sécurité pour bien se faire comprendre jettera 3 gobelets au sol pour bien signifier son désaccord. Ce qui ressemblait à une affaire de personnes se confirme par la tension qui se ressent et par les verbes hauts qui sont échangées dans les deux langues. L’agent de sécurité, énervé, revient vers le bureau alors que les échanges continuent à se faire à distance et toujours sur un ton assez fort qui interpellent les autres usagers. Je reste spectateur pendant ces échanges qui prennent une forme de défi verbal malgré l’incompréhension mutuelle. Alors que le Monsieur revient également vers le bureau, l’agent de sécurité aura une attitude agressive en se dirigeant vers lui et en l’insultant à deux reprises de « pauvre con ». M’étant rapproché du conflit, j’interviens en constatant que le vigile n’a pas à rentrer dans ce registre, les deux se séparent. J’aperçois alors le second vigile (maitre-chien) qui est présent sur le site avec son chien comme force de dissuasion. La situation tend à s’apaiser jusqu’à ce que de nouveaux échangent se lancent et incitent le premier vigile à vouloir en découdre avec l’usager à l’extérieur de l’enceinte. Ce vigile sort donc du site suivi par Monsieur qui ne se dégonfle pas, aucun coup ne sera échangé mais cette situation montre à mon idée une disproportion quant aux attitudes des travailleurs de sécurité. Partant d’une simple incompréhension au sujet de cafés, il me semble plus qu’anormal voire non professionnel de réagir de la sorte. L’agent de sécurité aura même ce jour-là mais également à d’autres moment le discours de dire qu’ « ici, c’est moi qui décide, c’est moi la loi, je fais ce que je veux ».Il aura même dans l’idée de ne pas lui laisser servir de café le lendemain matin et il le laissera patienter hors du site le soir même… effectivement il semble incarner personnellement la loi. Les propos entendus ce matin-là me semblent inappropriés sur un tel espace et il me semble assez incohérent qu’une telle attitude reste sans réel recadrage ou sanction.

Cet exemple vient donc illustrer le danger d’interprétation du règlement, tant d’un côté que de l’autre. Au-delà d’une interprétation, les discours entendus à plusieurs reprises par les agents de sécurité vont plutôt dans le sens d’une incarnation de l’autorité du site ce qui me pose des problèmes éthiques d’autant plus après avoir été témoin notamment de réveils brutaux ou de discours irrespectueux. De plus, une femme a déjà verbalisé qu’elle n’avait pas voulu sortir de sa chambre car il y avait la présence du chien du vigile. La présence de chiens quand ils sont aux usagers y est autorisé en cage, qu’en est-il des chiens des vigiles face à la peur que ces animaux peuvent susciter?

Positionnement personnel

Toutes ces remarques m’amènent donc aujourd’hui à me questionner et à me positionner sur mon intervention en tant qu’éducateur à Rouchy. Je viens de l’aborder, mais je me demande ce que vont devenir les réveils et les matinées sur le site qui seront laissées aux mains seules des vigiles. Il me semble chercher à avertir de dérives dangereuses et tenues secrètes sur ces temps d’intervention.

Après ce constat global et plutôt conséquent, j’assume quitter ce poste dans un positionnement qui est personnel et qui se pose volontairement à l’encontre d’un fonctionnement qui me semble indigne. Conscient qu’il n’est pas de la compétence de la DDCS de gérer le public migrant, il n’en demeure pas moins qu’un accueil à minima qualitatif et humain serait envisageable sur ce site et sans pour autant nécessiter de moyens disproportionnés tant pour les publics en demande d’asile que pour les sans-abris.

Ce courrier ne permettra peut-être pas de faire évoluer un tant soit peu le travail effectué à Rouchy, il n’a pas la prétention de vouloir révolutionner le fonctionnement et les décisions qui sont prises pour ce site. J’espère néanmoins avoir réussi à alerter des problématiques qui s’y posent quant à la dignité humaine des personnes accueillies et avec lesquelles je ne peux pas être en accord.