Comme souvent, la
séquence que nous vivons avec l’expulsion du lieu de distribution
des repas et de trois squats et la tentative d’expulser du
territoire une partie de leurs occupants s’inscrit dans des
séquences plus larges, dont les déterminations ne sont pas toutes
principalement liées à Calais.
Qui est responsable ?
C’est la mairie de
Calais qui a saisi le tribunal administratif pour obtenir
l’évacuation du lieu de distribution des repas occupé par des
exilés depuis un mois. C’est aussi l’Office Public de l’Habitant
qui avait saisi la justice et obtenu un jugement d’expulsion pour
les trois squats évacués le matin du 2 juillet.
C’est l’État qui a
accordé le concours de la force publique, et qui est donc à
l’origine de cette opération policière coordonnée sur plusieurs
lieux. C’est lui qui a donné aux policiers et gendarmes la
consigne d’éloigner militants journalistes, au besoin par la
violence.
C’est surtout l’État
qui a décidé de coupler évacuation du campement et des squats et
expulsion du territoire.
Et qui a initié après
le fiasco des évacuations de campement du 28 mai une nouvelle
séquence médiatique préparant les évacuations accompagnées de
rafles. Suite à l’échec du 28 mais, la préfecture se mure dans
le silence et ne communique plus sur le sujet. Puis elle invite le 18
juin les associations puis les médias pour leur présenter un
"dispositif exceptionnel" pour les personnes qui
demanderaient l’asile, et annoncer en des termes euphémisés
l’expulsion du lieu de distribution des repas. Le directeur général
de l’OFPRA apparait comme par miracle le soir-même au lieu de
distribution des repas pour présenter le dispositif. Lequel apparait
les jours suivants profondément défectueux. Visiblement l’État
ne souhaite pas faciliter l’accès à la procédure d’asile et
n’a pas mis en place les moyens nécessaires. Il s’agit d’une
mesure en trompe-l’oeil, visant à préparer les rafles et les
placements en rétention du 2 juillet : les personnes n’ayant pas
demandé l’asile, elles peuvent donc être renvoyées dans leur
pays sans problème. C’est à cette opération que s’est prêté
le directeur général de l’OFPRA, dévoyant totalement la vocation
officielle de l’organisme qu’il dirige (OFPRA : Office Français
de Protection des Réfugiés et Apatrides).
Cette séquence
"dispositif exceptionnel pour les demandeurs d’asile" –
tentative d’expulsion des non-demandeurs est elle-même à mettre
en relation avec la préparation de réforme de la législation
française sur l’asile actuellement en discussion. Tant le
président de la république (lorsqu’il s’est exprimé sur
"l’affaire Leonarda") que le ministre de l’intérieur
et les parlementaires auteurs du rapport préliminaire ont indiqué
que l’un des objectifs de cette réforme était d’expulser de
manière plus systématique les personnes recevant une réponse
négative à leur demande d’asile. La circulaire du 11 mars 2014
ciblait déjà les déboutés du droit d’asile et recommandait aux
préfets de privilégier l’expulsion vers le pays d’origine.
On voit donc que l’acteur
principal de la séquence est l’État, et que le rôle de la mairie
de Calais est principalement de saisir le tribunal administratif pour
obtenir un jugement d’expulsion. L’État cale simplement les
dates de la fin du "dispositif exceptionnel" pour les
demandeurs d’asile et de la rafle sur celle de la saisine du
tribunal. Sachant qu’il a fallu anticiper pour mobiliser les
effectifs policiers et libérer les places en centre de rétention,
et qu’il y a donc eu concertation entre l’État et la mairie.
Qu’a-t-on détruit ?
En visite à Calais,
Manuel Valls alors ministre de l’intérieur avait semblé valider
la proposition des associations de créer des "maisons des
migrants", lieux d’accueil digne et d’accès aux droits pour
les exilés, tout-au-moins comme une piste à étudier et à
expérimenter. En amont des élections municipales et européennes,
le ministre promet aux associations plus de solidarité, tout en
mettant en place dans la réalité des moyens de répression accrus.
La campagne électorale
est aujourd’hui terminée. Les quatre lieux de vie qui ont été
détruits étaient des préfigurations dans la réalité de ce
qu’auraient pu être ces "maisons des migrants". Et les
exilés sont renvoyés à la "loi des jungles", aux
campements et squats insalubres dans et à la périphérie de Calais,
où ils sont relégués entre violences policières et racket par les
passeurs.
Les squats des rues
Auber, Masséna et de Vic ont été ouverts en même temps par le
collectif "Salut ô Toit". Celui de la rue de Vic était
habité par des exilés. Celui de la rue Auber par des exilés et des
militants de passage. Celui de la rue Masséna était un lieu de
rencontre et d’activités, qui avait tissé des liens avec le
voisinage. Depuis la destruction du campement des Soudanais le 11
avril dernier, il accueillait aussi une partie d’entre eux.
Ce sont les exilés
eux-mêmes qui ont décidé d’occuper le lieu de distribution des
repas (voir ici et là), pour revendiquer leur droit d’être
traités comme des êtres humains. Même si l’organisation
collective du départ s’est estompée avec le temps et l’arrivée
de nouveaux habitants souvent désorientés par leur périple vers
l’Europe, il est resté un lieu partagé par les différentes
communautés, ouvert sur l’extérieur, les voisins, les bénévoles,
les médias.
Il reste un de ces lieux,
l’ancien squat Victor Hugo, mais l’État semble le vouer à une
destruction lente. Ce lieu qui accueillait les femmes exilées et
leurs enfants avait mobilisé une forte solidarité et avait tissé
des liens avec le voisinage. Sa situation près du centre-ville
permettait aux femmes de maintenir les liens avec leurs compagnons et
les membres de leur famille présents à Calais. Son déménagement
dans l’ancien accueil de jour du Secours catholique, sans la
moindre concertation avec qui que soit, un préfabriqué isolé
au-delà de la rocade de contournement de Calais, en fait déjà un
lieu de relégation, sans voisinage avec lequel tisser les liens. Il
faudra beaucoup d’efforts à l’association Solid’R, qui en
assure la gestion, pour en faire un vrai lieu de vie.
Le retour à 2009 ?
Augmentation du nombre
d’exilés à Calais, traitement bâclé d’une épidémie de gale,
nombre important de mineurs envoyés de force dans des lieux
d’accueil improvisés, rafle de plusieurs centaines de personnes,
destruction des lieux de vie, placement en rétention, tentative
d’expulser massivement vers des pays en guerre et des dictatures :
la séquence actuelle ressemble fortement à celle présidée par
Éric Besson en 2009, en moins bien organisé, alors que personnes
n’y croit plus ni ne fait semblant d’y croire, à commencer par
les autorités qui se contentent de débiter la langue de bois au
kilomètres.
Le retour à 2009 est
visible jusque dans les détails. Le lieu aménagé pour la
distribution des repas restant fermé, les repas sont servis quai de
la Moselle, comme entre 2003 et septembre 2009. L’accueil de jour
du Secours catholique étant réquisitionné pour accueillir les
femmes du squat Victor Hugo, l’association retourne dans ses
anciens locaux, trop petits mais moins excentrés.
La distribution des repas
comme lieu de ralliement pour les personnes dispersées, le retour
des mineurs emmenés de force dans des centres improvisés, le retour
des personnes arrêtées et emmenées loin de Calais, l’inquiétude
pour ceux qui sont encore en rétention. On pourrait reprendre
presque à l’identique le journal tenu par un militant en 2009 :
"Jeudi 24 septembre
: Réalité : les Afghans arrêtés mardi commencent à revenir :
demandeurs d’asile, mineurs en fugue, malades de la gale (eh oui,
les personnes présentant les symptômes de la gale ont été
libérés, selon un concept juridique et médical innovant). Le
tribunal administratif de Lille a commencé à annuler des mises en
rétention, avec des motifs qui pourraient concerner une bonne part
des migrants arrêtés mardi."
"Vendredi 25
septembre : Ça fait plaisir, en arrivant à la Cabina, de revoir de
plus en plus de visages connus, qui sont de retour. Libérés de
l’après-rafle, mineurs en fugue, cachés réapparaissant,
nouveaux, il y aurait déjà une grosse centaine d’Afghans à
Calais. A quelques signes comme ça à droite à gauche, je subodore
que Calais va rapidement devenir un joli merdier pour les autorités.
Des nouveaux chez les Soudanais aussi. Et là aussi je sens poindre
quelques surprises."
Mais au-delà de ces
détails d’ambiance, cet hommage de Manuel Valls à Éric Besson –
on pourrait parler de réhabilitation – n’est sûrement pas
fortuit. Besson qui est parti en éclaireur rejoindre Sarkozi en
2007. Valls qui personnifie la main tendue du gouvernement à l’UMP
pour une coalition à venir, plus proche probablement de la situation
grecque, où le PASOK tente de garder une partie du pouvoir en ayant
perdu son électorat, que de la grande coalition allemande.
Les exilés n’ont rien
à voir avec ces stratégies d’alliance et de communication. Mais
il faut bien que quelqu’un trinque.
Jeudi 3 juillet 2014 à
18h, distribution de repas à la "Cabina", surnom donné
par les exilés à ce lieu en raison du portacabine qui y a été
installé pendant des années, et a servit selon les époques aux
demandes d’asile,aux consultations médicales de Médecins du Monde
ou aux distributions de repas, qui se sont tenues là de 2003 à
2009.