jeudi 3 novembre 2011

À l'attention des journalistes

Angers, le 1er novembre 2011

              Au cours des dernières semaines, les quotidiens régionaux et nationaux ont publié de nombreux articles consacrés à la situation des demandeurs d’asile à Angers. Les auteurs de ces textes ont rapporté les propos d’acteurs (élus politiques, préfecture, militants associatifs) qui participent à la prise en charge de ces migrants. Certains d’entre eux ont présenté une lecture des faits qui nous semble incomplète voire erronée. A titre d’exemple, dans un article daté du 26 octobre 2011, Ouest-France a proposé à ses lecteurs un décryptage de la situation des demandeurs d'asile à Angers. Un journaliste a rapporté à cette occasion des propos de la Préfecture d’Angers qui désignaient notre collectif comme, en partie, responsable du drame humain qui se déroule actuellement sur les trottoirs d’Angers.
            Nous ne jugerions pas utile de répondre à de telles insinuations -notre conscience d'œuvrer au Bien Commun et au respect du Droit nous suffit- s'il ne nous avait pas paru nécessaire et salutaire dans ce contexte de confusion d’apporter certaines précisions ; une information partielle prête trop souvent à une instrumentalisation partiale. Il faut les analyser en les replaçant dans leur contexte tant géographique qu'historique.

            La France est un État de Droit, un des moteurs de l'Union européenne. Depuis le traité de Lisbonne, la Charte des droits fondamentaux est devenue contraignante juridiquement, au même titre que les traités eux-mêmes. La liberté de demander l'asile y est affirmé à l'article 18 * et son corollaire pour l'exercer est d'assurer des conditions minimales d'accueil respectant la dignité humaine du demandeur au sens de l'article 1 de la Charte *; les droits dérivés dont la directive « accueil » du 27 janvier 2003 du Conseil de l'Union * avaient défini ces conditions matérielles d'accueil minimales à l'article 2-i et j *. Ils sont immédiatement applicables dès l'introduction de la demande d'asile (article 13-1 et 2) *. Les obligations des états membres pour leur mise en œuvre sont définies à l'article 24 *. La notion d'introduction est précisée à l'article 4-2 du règlement Dublin du 18 février 2003 *. Les obligations qui lient les états membres sont définies à l'article 288 du traité de fonctionnement de l'Union européenne *. L'article 88 * de la Constitution française reconnaît cette primauté du Droit communautaire.
           
            En France, l'accueil des demandeurs d'asile doit être assuré par les Centres d'Accueil des Demandeurs d'Asile (CADA) ; ce dispositif est complété, en cas de surcharge temporaire, par le dispositif d'Hébergement d'Urgence des Demandeurs d'Asile (HUDA). L’Etat doit donc adapter l’offre d’hébergement et d’accompagnement à la réalité des besoins des demandeurs d’asile. Pourtant, nous constatons quotidiennement le contraire. Ces exilés doivent s’adapter à une offre insuffisante en matière de prise en charge et cela depuis des années. La situation sur le plan de l’hébergement en est la parfaite illustration. Le nombre de places dans les centres d’accueil et les hébergements d’urgence pour demandeur d’asile (CADA – HUDA) ne suffit pas à couvrir les besoins réels. Les demandeurs d’asile sont alors poussés vers les structures d’accueil des sans-abris.
            Le secteur de l’urgence sociale est lui-même en crise budgétaire permanente depuis une décennie au point que les professionnels se sont mis en grève cette année. Xavier Emmanuelli, fondateur du SAMU Social, a démissionné pour protester contre les coupes budgétaires imposées par l’Etat. Comment ne pas mentionner la situation de ces travailleurs sociaux d’un CHRS de Toulouse qui, confrontés à ces restrictions budgétaires, ont ouvert et géré un squat pour sans-abri.
            L’Etat emploie l’hébergement d’urgence comme une variable d’ajustement dans la prise en charge des demandeurs d’asile ; cela engendre une situation explosive tant pour les travailleurs sociaux que pour les sans abris français et les réfugiés.
            Ce mélange entre obligation d'accueil des demandeurs d'asile et obligation d'hébergement des personnes à la rue génère des tensions dangereuses en mettant en concurrence les personnes fragilisées socialement et celles qui fuient l'horreur quotidienne de leur pays d'origine.

            Un deuxième point essentiel qui a retenu notre attention concerne l’«aspect intolérable de la situation». Effectivement, elle l'est mais pas pour les élus politiques et les associations mais bel et bien pour les personnes qui en subissent les conséquences autrement dit les demandeurs d'asile et les sans abri français. Sans la venue des journalistes, les familles et les enfants qui dormaient devant la gare depuis de nombreux jours n'auraient jamais été relogés. Il suffit de constater le concours de circonstances entre le passage des journalistes le mardi, le relogement le mercredi et la parution dans la presse le jeudi. Nous pouvons affirmer que c'est bien l'écho médiatique qui en est la principale raison.

            Cette situation n'est pas propre à Angers mais touche toutes les villes « régionalisées » en 2008. À Rennes, le DAL 35 accueille près de 300 personnes dans des squats et des campements et manifeste régulièrement avec les sans-abris français et les demandeurs d'asile. Ils affirment comme à Angers la nécessité de la réquisition des logements et des locaux vides. Cette démarche n’est pas la cause de l'arrivée des demandeurs d'asile dans notre pays et plus particulièrement à Angers ou à Rennes. Ouest-France évoque assez régulièrement la situation dramatique qui se joue quotidiennement en Somalie, en Éthiopie ou en Érythrée pour que journalistes comme lecteurs comprennent que ces personnes sont ici, par nécessité, pour être accueillies et protégées. Alors oui, nous, membres du CSSP49, nous continuerons d'agir pour répondre à l'innommable et aider ces personnes dans leurs démarches, dans leur quotidien. Les réquisitions et campements, qu'elles que soient les personnes qui les réalisent, sont des conséquences de l'inaction et de l'inertie des autorités publiques aussi bien envers les sans-abris nationaux que des demandeurs d'asile.

            Il nous semble nécessaire de revenir sur le sens et l’intérêt de notre action. Si nos élus politiques locaux et les autorités préfectorales sont gênés et expliquent la situation actuelle par l' « appel d'air » créé par les réquisitions et campements, c'est pour mieux masquer leur défaillance et leur manque de volonté dans la résolution de ces problèmes. À Rennes comme à Angers, ce qui dérange vraiment les pouvoirs publics ce n'est pas tant la misère grandissante des français comme des réfugiés mais que nos actions les rendent visibles et les obligent à respecter les lois en vigueur en France et en Europe. Depuis huit ans, par les recours juridiques, manifestations, réquisitions etc. nous nous battons pour l’application de ces droits fondamentaux (logement, santé etc.).
            Les élus locaux vont demander à Mr Guéant de répartir les demandeurs d'asile sur les autres départements ; soit mais si une véritable politique d'accompagnement n'est pas mise en œuvre avec les moyens nécessaires, le problème sera mutualisé et l'argent public continuera à être gaspillé en chambres d'hôtel.
            Mr Guéant avait déclaré dans une interview qu'il allait faire appliquer strictement le Droit européen ; qu'il le fasse... C'est ce que nous demandons depuis des années !

Les membres du CSSP49

NB/ Bien entendu, nous sommes à votre disposition pour tout complément d'information
*ANNEXE :

Charte des droits fondamentaux :

Article 1 : Dignité
« La dignité humaine est inviolable. Elle doit être respectée et protégée »

Article 18 : Droit d'asile
« Le droit d'asile est garanti dans le respect des règles de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et du protocole du 31 janvier 1967 relatifs au statut des réfugiés et conformément au traité sur l'Union européenne et au traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (ci-après dénommés «les traités»). »

Directive « accueil » 2003/9 [CE ]

Article 2: Définitions :
i) "conditions d'accueil": l'ensemble des mesures prises par les États membres en faveur des demandeurs d'asile conformément à la présente directive;
j)"conditions «matérielles d'accueil": les conditions d'accueil comprenant le logement, la nourriture et l'habillement, fournis en nature ou sous forme d'allocation financière ou de bons, ainsi qu'une allocation journalière; »

Article 13: Règles générales relatives aux conditions matérielles d'accueil et aux soins de santé
« 1. Les États membres font en sorte que les demandeurs d'asile aient accès aux conditions matérielles d'accueil lorsqu'ils introduisent leur demande d'asile.
2. Les États membres prennent des mesures relatives aux conditions matérielles d'accueil qui permettent de garantir un niveau de vie adéquat pour la santé et d'assurer la subsistance des demandeurs. »

Article 24: Personnel et ressources
« 1. Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que les autorités et les autres organisations qui mettent en œuvre la présente directive bénéficient de la formation de base utile eu égard aux besoins des demandeurs d'asile des deux sexes.
2. Les États membres allouent les ressources nécessaires à la mise en oeuvre des
dispositions nationales prises aux fins de la transposition de la présente directive. »


Règlement « Dublin II » 343/2003 [CE ]

Article 4-2.
« Une demande d’asile est réputée introduite à partir du moment où un formulaire présenté par le demandeur d’asile ou un procès-verbal dressé par les autorités est parvenu aux autorités compétentes de l’État membre concerné. Dans le cas d’une demande non écrite, le délai entre la déclaration d’intention et l’établissement d’un procès-verbal doit être aussi court que possible. »

Version consolidée du traité sur l'Union européenne

Article 6
« 1. L'Union reconnaît les droits, les libertés et les principes énoncés dans la Charte des
droits fondamentaux de l'Union européenne du 7 décembre 2000, telle qu'adoptée le 12 décembre 2007 à Strasbourg, laquelle a la même valeur juridique que les traités. »

Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne

Article 288
« Pour exercer les compétences de l'Union, les institutions adoptent des règlements, des directives, des décisions, des recommandations et des avis.
Le règlement a une portée générale. Il est obligatoire dans tous ses éléments et il est directement applicable dans tout État membre.
La directive lie tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens. »

Constitution française

Titre XV - De l'Union européenne
Art 88-1.
« - La République participe à l'Union européenne constituée d'États qui ont choisi librement d'exercer en commun certaines de leurs compétences en vertu du traité sur l'Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, tels qu'ils résultent du traité signé à Lisbonne le 13 décembre 2007. »

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