Un protocole entre l'État
et les départements vient de créer un « dispositif national de
mise à l'abri, d'évaluation et d'orientation des mineurs isolés
étrangers ».
L'annonce d'un dispositif
dérogatoire au droit commun pour les étrangers est rarement une
bonne nouvelle. D'un traitement différencié à un traitement
discriminatoire, il n'y a qu'un pas, souvent franchi (voir par
exemple en matière d'allocations familiales, d'accès à la CMU, au
marché de l'emploi...). C'est maintenant le dispositif de protection
de l'enfance qui est touché. Parce qu'ils sont étrangers, des
enfants en danger du fait de leur isolement, au lieu d'être pris en
charge, comme les autres mineurs privés de soins, là où on
découvre leur existence et les dangers qu'ils ou elles encourent, et
parfois là où des liens de confiance ont commencé à être noués,
vont pouvoir être envoyés à l'autre bout du territoire
métropolitain. Il s'agit donc avant tout, pour les départements les
plus sollicités, de refiler une patate chaude aux autres. Ces autres
- les départements peu sollicités - pourront refuser, en toute
légalité, de participer à sa mise en oeuvre. Le dispositif
s'appuie, en effet, sur un texte d'orientation sans fondement
juridique solide.
Concrètement, le «
protocole » prévoit une prise en charge financière par l'État de
5 jours initiaux d'évaluation de la situation des jeunes, avant leur
envoi vers tel ou tel département selon un système de répartition
nationale censé être équitable.
Loin de répondre à «
l'intérêt supérieur de l'enfant », selon ce qu'exigent les textes
internationaux, ce dispositif dérogatoire tente de satisfaire les
exigences de départements, toujours plus nombreux à se plaindre
d'avoir à prendre en charge sur leurs finances des enfants étrangers
qui n'ont aucune attache avec leur territoire. Selon un argument
régulièrement invoqué par les conseils généraux et repris par
l'Association des départements de France, les mineurs isolés
étrangers seraient avant tout des migrants, dont la responsabilité
incomberait à l'État.
Ce protocole est-il
vraiment le fruit d'une volonté d'améliorer l'accueil de ces
mineurs ? On a plutôt le sentiment qu'il est un compromis entre
l'État et ces départements. Dans ce jeu de dupes, le premier adopte
une posture légaliste en rappelant aux seconds que la prise en
charge de ces mineurs est de leur compétence alors qu'il les
maltraite lui-même dès qu'il en a l'occasion : à leur arrivée à
la frontière en les plaçant
en zone d'attente, en ne les régularisant qu'au compte goutte à
leur majorité, en menant une politique de suspicion systématique
par l'intermédiaire des parquets. Pour leur part, les départements
les plus véhéments voient surtout dans ce texte le moyen de se
débarrasser à bon compte d'une partie du « fardeau » sur leurs
voisins.
La situation des jeunes
isolés dans certains départements a toutefois atteint un tel
niveau de délaissement et de déni de droits qu'on finit par se
demander... s'ils n'ont pas en effet intérêt à aller là où on
acceptera de les accueillir avec un minimum d'égards !
Truffé d'expression
comme « s'assurer de la minorité », « doute sur les déclarations
de l'intéressé », « fraude documentaire » et n'écartant pas
l'usage d'expertises médicales de vérification de l'âge, malgré
leur peu de fiabilité avérée, le nouveau dispositif est avant tout
marqué par la suspicion. Il généralise à l'ensemble de la France
les pratiques des départements et des parquets les plus
contestables. Il étend un peu vite à la totalité du territoire
national (à l'exception de l'outre-mer où rien n'est prévu
évidemment) une recette similaire à celle expérimentée à partir
d'octobre 2011 en Seine-Saint-Denis où 90% des mineurs isolés
trouvés sur le territoire de ce département ont été renvoyés
vers une vingtaine d'autres départements. Ce premier dispositif de
répartition est pourtant loin d'avoir démontré qu'il avait
amélioré l'accueil des jeunes concernés.
Contrairement à
l'objectif affiché par le protocole d'« apporter aux jeunes toutes
les garanties liées à la nécessaire protection de leur intérêt
et au respect de leur droits », ces enfants étrangers resteront,
avec le nouveau dispositif, tout aussi démunis face aux décisions des autorités
administratives et judiciaires. Qui les assistera lors de l'«
entretien d'accueil qui confirme[ra] ou infirme[ra] la nécessité
d'une mesure de protection » ? Que pourront-ils faire en cas de
refus de prise en charge par l'aide sociale à l'enfance (ASE) ? Quel
recours leur permettra de contester les décisions de non-lieu à
assistance éducative des parquets ? Et, à supposer qu'ils en soient
informés, qui les aidera à saisir le juge des enfants en cas de
refus de prise en charge à l'issue des cinq jours d'« évaluation »
financée par l'État ? Plus prosaïquement, comment survivront-ils
dans l'attente de la convocation du juge ? Où celui-ci devra-t-il
envoyer la convocation à l'audience pour un ou une enfant à la rue
?
Aucune de ces questions
n'est réglée par le protocole. C'est pourtant parce qu'elles sont
actuellement sans réponse que, comme le reconnaît lui-même ce
document par un bel euphémisme, les « conditions de prise en charge
de ces jeunes [...] ne sont pas satisfaisantes » .
En décembre 2012, le
Défenseur des droits avait rendu publiques 15 recommandations pour
une prise en charge des mineurs isolés correspondant et au droit
interne français et aux obligations internationales de la France. Ce
protocole, à l'évidence, fait l'impasse sur ces recommandations.
Le nouveau dispositif
comporte donc beaucoup d'incertitudes et de dispositions
inquiétantes. Il n'offre aucune garantie que les mineurs
bénéficieront d'une prise en charge éducative effective. Imaginé
davantage pour décharger les départements les plus sollicités que
par souci de l'avenir et de la prise en charge des mineurs concernés,
le dispositif peut parfaitement susciter l'opposition de certains
conseils généraux et rester ainsi partiellement ou totalement
lettre morte.
Le 12 juin 2013
Voir le communiqué collectif :
L'accueil des mineurs isolés en Seine Saint
Denis : la vigilance reste de mise
21 octobre 2011.
Voir notre dossier « Les mineurs
étrangers isolés »
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