mercredi 12 juin 2013

Communiqué du GISTI à propos des MIE et de la nouvelle circulaire...

 
Un protocole entre l'État et les départements vient de créer un « dispositif national de mise à l'abri, d'évaluation et d'orientation des mineurs isolés étrangers ».

L'annonce d'un dispositif dérogatoire au droit commun pour les étrangers est rarement une bonne nouvelle. D'un traitement différencié à un traitement discriminatoire, il n'y a qu'un pas, souvent franchi (voir par exemple en matière d'allocations familiales, d'accès à la CMU, au marché de l'emploi...). C'est maintenant le dispositif de protection de l'enfance qui est touché. Parce qu'ils sont étrangers, des enfants en danger du fait de leur isolement, au lieu d'être pris en charge, comme les autres mineurs privés de soins, là où on découvre leur existence et les dangers qu'ils ou elles encourent, et parfois là où des liens de confiance ont commencé à être noués, vont pouvoir être envoyés à l'autre bout du territoire métropolitain. Il s'agit donc avant tout, pour les départements les plus sollicités, de refiler une patate chaude aux autres. Ces autres - les départements peu sollicités - pourront refuser, en toute légalité, de participer à sa mise en oeuvre. Le dispositif s'appuie, en effet, sur un texte d'orientation sans fondement juridique solide.

Concrètement, le « protocole » prévoit une prise en charge financière par l'État de 5 jours initiaux d'évaluation de la situation des jeunes, avant leur envoi vers tel ou tel département selon un système de répartition nationale censé être équitable.

Loin de répondre à « l'intérêt supérieur de l'enfant », selon ce qu'exigent les textes internationaux, ce dispositif dérogatoire tente de satisfaire les exigences de départements, toujours plus nombreux à se plaindre d'avoir à prendre en charge sur leurs finances des enfants étrangers qui n'ont aucune attache avec leur territoire. Selon un argument régulièrement invoqué par les conseils généraux et repris par l'Association des départements de France, les mineurs isolés étrangers seraient avant tout des migrants, dont la responsabilité incomberait à l'État.

Ce protocole est-il vraiment le fruit d'une volonté d'améliorer l'accueil de ces mineurs ? On a plutôt le sentiment qu'il est un compromis entre l'État et ces départements. Dans ce jeu de dupes, le premier adopte une posture légaliste en rappelant aux seconds que la prise en charge de ces mineurs est de leur compétence alors qu'il les maltraite lui-même dès qu'il en a l'occasion : à leur arrivée à la frontière en les plaçant en zone d'attente, en ne les régularisant qu'au compte goutte à leur majorité, en menant une politique de suspicion systématique par l'intermédiaire des parquets. Pour leur part, les départements les plus véhéments voient surtout dans ce texte le moyen de se débarrasser à bon compte d'une partie du « fardeau » sur leurs voisins.

La situation des jeunes isolés dans certains départements a toutefois atteint un tel niveau de délaissement et de déni de droits qu'on finit par se demander... s'ils n'ont pas en effet intérêt à aller là où on acceptera de les accueillir avec un minimum d'égards !

Truffé d'expression comme « s'assurer de la minorité », « doute sur les déclarations de l'intéressé », « fraude documentaire » et n'écartant pas l'usage d'expertises médicales de vérification de l'âge, malgré leur peu de fiabilité avérée, le nouveau dispositif est avant tout marqué par la suspicion. Il généralise à l'ensemble de la France les pratiques des départements et des parquets les plus contestables. Il étend un peu vite à la totalité du territoire national (à l'exception de l'outre-mer où rien n'est prévu évidemment) une recette similaire à celle expérimentée à partir d'octobre 2011 en Seine-Saint-Denis où 90% des mineurs isolés trouvés sur le territoire de ce département ont été renvoyés vers une vingtaine d'autres départements. Ce premier dispositif de répartition est pourtant loin d'avoir démontré qu'il avait amélioré l'accueil des jeunes concernés.

Contrairement à l'objectif affiché par le protocole d'« apporter aux jeunes toutes les garanties liées à la nécessaire protection de leur intérêt et au respect de leur droits », ces enfants étrangers resteront, avec le nouveau dispositif, tout aussi démunis face aux décisions des autorités administratives et judiciaires. Qui les assistera lors de l'« entretien d'accueil qui confirme[ra] ou infirme[ra] la nécessité d'une mesure de protection » ? Que pourront-ils faire en cas de refus de prise en charge par l'aide sociale à l'enfance (ASE) ? Quel recours leur permettra de contester les décisions de non-lieu à assistance éducative des parquets ? Et, à supposer qu'ils en soient informés, qui les aidera à saisir le juge des enfants en cas de refus de prise en charge à l'issue des cinq jours d'« évaluation » financée par l'État ? Plus prosaïquement, comment survivront-ils dans l'attente de la convocation du juge ? Où celui-ci devra-t-il envoyer la convocation à l'audience pour un ou une enfant à la rue ?

Aucune de ces questions n'est réglée par le protocole. C'est pourtant parce qu'elles sont actuellement sans réponse que, comme le reconnaît lui-même ce document par un bel euphémisme, les « conditions de prise en charge de ces jeunes [...] ne sont pas satisfaisantes » .

En décembre 2012, le Défenseur des droits avait rendu publiques 15 recommandations pour une prise en charge des mineurs isolés correspondant et au droit interne français et aux obligations internationales de la France. Ce protocole, à l'évidence, fait l'impasse sur ces recommandations.


Le nouveau dispositif comporte donc beaucoup d'incertitudes et de dispositions inquiétantes. Il n'offre aucune garantie que les mineurs bénéficieront d'une prise en charge éducative effective. Imaginé davantage pour décharger les départements les plus sollicités que par souci de l'avenir et de la prise en charge des mineurs concernés, le dispositif peut parfaitement susciter l'opposition de certains conseils généraux et rester ainsi partiellement ou totalement lettre morte.

Le 12 juin 2013

Voir le communiqué collectif : L'accueil des mineurs isolés en Seine Saint
Denis : la vigilance reste de mise

21 octobre 2011.


Voir notre dossier « Les mineurs étrangers isolés »

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