L’UNION NATIONALE DES SANS PAPIERS ET
MIGRANTS (UNSP)
à FRANCOIS HOLLANDE, PRESIDENT DE LA
REPUBLIQUE FRANÇAISE
Monsieur le Président de
la République,
Nous, Sans-papiers et
Migrants, regroupés dans l’UNSP, en marche dans le cercle du
« Grand Paris » depuis le 7 septembre, nous venons par la
présente vous expliquer les raisons de cette marche,
commémorative des 30 ans de la marche pour l’égalité, et vous
dire nos préoccupations et nos attentes, dont cette marche est
porteuse. Le 5 octobre, à notre arrivée à Paris, nous nous
présenterons à l’Elysée pour vous exprimer de vive voix nos
revendications et nos propositions.
Si nous avons choisi de
sillonner ce qu’il est convenuaujourd’hui d’appeler le « Grand
Paris », c’est parce que, après des marches qui nous ont
menés d’abord auprès des chefs d’Etat africains réunis à
Nice en 2010 par votre prédécesseur,puis en 2011 au Forum social de
Dakar, en 2012 au Parlement européen, enfin en 2013 au Forum
social de Tunis, nous avons aujourd’hui ressenti la nécessité de
nous adresser à la plus haute autorité de la France. C’est aussi
parce qu’après un an et demi de pouvoir socialiste, notre attente
est intense du changement annoncé, qui vaut aussi, pensons-nous,
pour les conditions de vie et de travail des sans-papiers et
migrants. C’est enfin parce que nous avons bien conscience d’avoir
participé à notre manière à la construction de ce Grand Paris,
comme nos anciens ont participé à la construction et à la défense
de la France, et que nous nous trouvons de fait concernés, avec nos
familles et nos enfants, par son avenir.
Tout au long de cette
marche qui aborde sa quatrième et dernière semaine, nous avons été
plutôt bien reçus, par la population comme par les élus de
tous bords, à quelques exceptions près que nous voulons oublier.
Car, pour l’essentiel, l’objectif que nous nous fixions a été
rempli : faire connaître les sans-papiers et migrants pour
éteindre la crainte et les idées fausses, témoigner de leur
parcours éprouvant et de leurs conditions de vie si précaires,
montrer en quoi ils sont des acteurs à part entière de cette
société, découvrir la vitalité de ces quartiers banlieues et
départements limitrophes de Paris si souvent et injustement
stigmatisés.
Par la voix du Ministre
de l’intérieur, Manuel Valls, il nous a été indiqué que le
traitement de notre situation obéirait aux deux principes
d’ »humanité » et de « fermeté », c’est
à dire, avons-nous compris, selon une attention bienveillante à nos
grandes difficultés de régularisation et dans le respect de la loi.
Nous sommes bien évidemment d’accord sur cet équilibre, à
condition qu’il soit réalisé, et que la loi soit juste. Or nous
trouvons plus souvent « fermeté » qu’ « humanité »
(arrestations au faciès, rétentions, expulsions), et la loi CESEDA
dont nous attendons avec impatience que le Parlement s’empare de sa
rédaction et de sa promulgation, est pour l’instant chapeautée,
faute de mieux, par la circulaire Valls du 28 novembre 2012. Or cette
circulaire, pensons-nous, proroge pour l’essentiel l’injustice et
l’incohérence des lois Pasqua de 1993.
Injustice, puisque le
dernier mot en matière de régularisation est à la discrétion des
préfectures, dont on ne peut pas dire que le traitement est uniforme
(égal selon les unes et les autres). Incohérence, puisque
l’essentiel de la circulaire reprend le cercle vicieux maintes fois
dénoncé : pour prétendre déposer un dossier de
régularisation, il faut produire un nombre conséquent de fiches de
paie, sur plusieurs années, alors que pour se faire délivrer ces
mêmes fiches de paie, il faut être titulaire de papiers de séjour
en bonne et due forme. Ainsi se poursuit le travail au noir,
l’encouragement des entreprises à tourner la loi, des sans-papiers
à faire de fausses déclarations, de l’administration à tolérer
ces illégalités. Comment ne pas souhaiter que votre volonté
politique parvienne à briser ce cercle infernal, et donne
satisfaction au plus grand désir des sans-papiers : vivre et
travailler en France de plein droit.
Si nous nous adressons à
vous, Monsieur le Président, c’est parce vous avez le pouvoir
d’inspirer une telle décision, et aussi parce que nous ne
souhaitons pas rester dans un face à face avec le Ministre de
l’intérieur, même s’il est le ministre chargé de notre
régularisation. Nous voulons en effet que notre situation soit prise
en charge aussi par tous les ministères concernés par notre
présence en France (travail, justice, santé, éducation…). De
plus, nous sommes obligés de le reconnaître, le Ministre de
l’intérieur n’a pas jusqu’ici fait preuve de toute la capacité
d’écoute à nos préoccupations que nous étions en droit
d’attendre de sa part. Les récents propos qu’il a tenus sur
l’incapacité de certaines populations à s’intégrer en France
n’ont fait que renforcer nos doutes. Nous nous sommes de fait
sentis visés aussi, et livrés ainsi par ces propos, comme nos
frères Roms, au mépris et à la xénophobie hélas croissante.
C’est pourquoi,
Monsieur le Président, nous vous demandons de faire en sorte qu’il
y ait retrait de cette circulaire Valls, et que l’ouverture du
travail parlementaire sur la refonte de la loi CESEDA donne lieu à
un texte à la hauteur de notre attente, tout comme de l’histoire
et des principes de base de notre République et du parti
socialiste.Comme vous, nous croyons aux principes fondateurs. En
particulier ceux énoncés dans l’article 13 de la Déclaration
universelle des droits de l’homme concernant la liberté de toute
personne humaine de circuler librement, de s’installer dans le pays
de son choix, de retourner librement dans le sien. Cette Déclaration,
promulguée le 10 décembre 1948 au Palais de Chaillot est
imprescriptible et son universalité nous concerne directement. C’est
sous son inspiration que nous demandons la liberté de circulation et
d’installation pour les sans-papiers et migrants, la régularisation
de tous les sans-papiers qui en font actuellement la demande, la
suppression des CRA, l’arrêt des expulsions, l’effectivité du
droit d’asile, l’accès au droit de vote, l’accueil des Roms,
la reconnaissance de l’égalité entre les migrants et les
nationaux. Concrètement, nous demandons la carte de résident de 10
ans pour tous ces sans-papiers qui, pour certains, ont dépassé
depuis longtemps cette durée !
Et qu’on ne vienne pas
dire que cela ouvrirait les vannes à un afflux d’immigration. La
clandestinité y contribue tout autant, sinon plus. Qu’on ne vienne
pas non plus dire que ce n’est pas le moment de rajouter de la
précarité en temps de crise et de chômage. Chacun sait que
les travailleurs immigrés ne sont pas en concurrence avec les
travailleurs nationaux sur les emplois qu’ils occupent :
nettoyage, bâtiment, restauration, services à la personne. Et selon
les chiffres officiels, le solde de notre présence en France est
plutôt positif.
En vous remerciant de
toute l’attention que vous voudrez bien apporter à notre lettre et
à nos demandes, espérant que vous nous ferez l’honneur d’être
reçus et écoutés à l’Elysée le 5 octobre, nous vous prions,
Monsieur le Président de la République, de recevoir l’expression
de notre plus haute considération.
Anzoumane SISSOKO, porte
parole UNSP (tel : 06 51 70 74 92)
UNSP/ATMF, 10 rue Affre,
Paris 75018
Le 29 septembre
2013, Montreuil
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