Un récit consternant sur les procédures qui ont suivi l'expulsion des migrants à Calais. Plusieurs d'entre eux se sont retrouvés au CRA de Rennes. Lisez la suite pour vous faire une idée du contexte du moment.
La semaine dernière, 600
migrant-e-s ont fait l’objet d’une nouvelle rafle collective à
Calais et une bonne part d’entre eux ont ensuite été
dispatché-e-s dans les différents centres de rétention du pays
après avoir reçu des OQTF. 19 avaient été placés au CRA de
Rennes.
Ce matin, au tribunal
administratif de Rennes, nous étions une quinzaine (dont 2 venues
exprès de Saint-Nazaire !) pour soutenir les 19 migrants de
Calais qui avaient été libérés hier du CRA. Ils sont originaires
d’Erythrée ou du Soudan.
Pas moins de 4 avocat-e-s
se sont succédé pour plaider les 19 dossiers, qui ont occupé près
de 3 heures d’audience. Les migrants sont passés par « paquets »
de 2 à 6, en fonction des avocat-e-s, des pays d’origine, des
situations. La juge administrative était particulièrement attentive
et soucieuse de donner la parole aux migrants. Elle a décidé de
prendre le temps de répondre sur les requêtes si bien que ses
décisions ne tomberont que dans les jours à venir.
Petit voyage donc en Etat
de droit(e) car, Etat de droit oblige, il fallait bien appuyer
juridiquement la rafle et la mise en rétention arbitraire de ces
centaines de migrants par notre état stationnaire de droite. Petit
voyage qui permet de comprendre comment le « socialisme »
contribue activement à la décomposition de toute confiance dans le
Droit, cette vague institution qui a pu – un temps – nous bercer
dans l’illusion de l’égalité (face à la loi).
Lors de leur rafle, les
19 migrants, ont tous été présentés à la police du Nord Pas de
Calais et ont eu « droit » à une audition qui a
systématiquement débouché sur la délivrance d’une OQTF et sur
la mise en rétention. Ce matin, pour se défendre face aux recours
des 19 migrants, la préfecture n’était pas représentée, n’a
envoyé aucun mémoire en défense et s’est contentée de faire
parvenir les PV d’audition policière ainsi que quelques vagues
« preuves » assez éloignées de la conception que l’on
peut avoir d’un travail préparé. Cette absence de préparation en
dit déjà long sur le détournement de procédure qu’ont constitué
la délivrance d’OQTF et la mise en rétention pour justifier la
rafle et la dispersion géographique de ce que nous appelons, nous à
gauche, des êtres humains.
Les 4 avocat-e-s ont pu
alors s’en donner à cœur joie pour démonter consciencieusement
tout le pseudo arsenal juridique utilisé par le Pouvoir rafleur. Les
4 ont attaqué la délivrance d’OQTF, les pays de renvoi, la mise
en rétention. Et là festival d’arguments !
OQTF stéréotypées car
pré rédigées avec mentions inutiles à rayer !
PV d’audition à charge
qui négligeaient largement la trajectoire des migrants pour en venir
au plus vite à la question de l’accord pour le retour et du droit
préfectoral de délivrer des OQTF et d’enfermer en centre de
rétention.
Absence de motivation des
OQTF, voire de graves erreurs de motivation.
Absence d’examen de la
situation personnelle de chaque migrant, comme le révèle la durée
des auditions pour chacun (5 minutes !!!). Rien ou presque sur
les motifs personnels, sur les persécutions, sur la vie privée et
familiale, voire sur la date d’entrée en France. C’est vrai,
c’est chiant à demander et à écrire mais c’est un droit des
migrant-e-s de « raconter » cela avant qu’une décision
ne soit prise !
Pour les migrants arrivés
en France depuis quelques jours à peine, négligence totale du fait
qu’ils souhaitent demander l’asile ou que la demande d’asile ne
se fait pas sans avoir réglé deux ou trois trucs matériels
(domiciliation, hébergement, nourriture, informations pour
s’orienter).
Arrivée tardive des
interprètes (au moment de la signature des PV d’auditions mais pas
pendant leur déroulement) et des interprètes en anglais seulement.
Erythrée et Soudan
désignés comme pays de renvoi…comme s’il s’agissait de
simples destinations touristiques…
Article 3 et article 8 de
la Convention européenne des Droits de l’Homme systématiquement
cités comme n’ayant pas été violés, ce qui revient à dire que
la préfecture a bien appris à se torcher avec cette convention lors
des rafles !
Violation de l’article
41 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne qui
proclame « le droit de toute personne d'être entendue avant
qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit
prise à son encontre », autrement dit le droit de toute
personne de faire des observations orales ou écrites face à ce qui
lui arrive de négatif. Ce qui suppose plus de 5 minutes…
Ce festival concernait
les 19 migrants mais plusieurs avaient en plus une histoire
singulière qui en disait long sur le rapport au droit de la
préfecture 62.
L’un était convoqué
le 3 juillet à la préfecture pour déposer sa demande d’asile et
il avait une convocation écrite ! Rien à foutre, OQTF quand
même ! Et rétention quand même !
Deux autres avaient déjà
une OQTF délivrée à la mi-juin mais avec un délai de 30
jours pour quitter le territoire. Rien à foutre, en rétention
quand même !
Deux autres avaient un
papier attestant qu’ils devaient rencontrer à Calais l’association
chargée de leur expliquer les démarches d’asile. Rien à foutre,
OQTF quand même !
Un autre était mineur
mais rien à foutre, démarche d’expulsion et en rétention quand
même !
Plusieurs avaient dans
leur PV d’audition quelques éléments concernant leurs motifs de
départ et les persécutions subies. On s’attend alors à trouver
dans le PV une explicitation des démarches à faire en vue de
demander l’asile. Mais non, la présentation des horreurs vécues
est aussitôt suivie de la question sur l’accord pour le retour et
sur la connaissance du droit préfectoral de délivrer une OQTF et
d’enfermer. Le droit d’asile, rien à foutre aussi !
Voilà où on en est, une
fois de plus, dans le pays berceau de je ne sais plus quelle
connerie.
Voilà où on est dans un
pays qui ose mettre en place un contrat d’accueil et d’intégration
sur les valeurs républicaines avant de permettre à un-e étranger-e
non UE de s’installer en France.
Le plus fou était de
voir ces 19 migrants d’une vingtaine d’années, sans doute perdus
car récemment arrivés en France et ne parlant pas français, déjà
violentés dans leur parcours d’exil, maltraités depuis qu’ils
sont arrivés en France, raflés, enfermés de manière arbitraire,
libérés sans comprendre, etc., en train de demander à la France de
les accueillir, même en prison car ce sera moins pire que là-bas…
Et comment ne pas
percevoir tout le racisme institutionnel qui transparaissait dans
leur destin de noirs qui ne dépend que du bon vouloir des blancs.
Et, en ce moment, les blancs ont un mauvais vouloir.
Sur ces 19 migrants, 14
sont repartis pour Calais ce soir.
Repartis dans la loterie
raciste de notre Etat de droit(e)…
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